top of page

Instruction d’une autorisation d’urbanisme et demande de pièces complémentaires : nouvelle jurisprudence du Conseil d’Etat

Les demandes de pièces complémentaires émises dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme (permis d’aménager, permis de construire ou déclaration préalable) influent sur les délais et sur le mode d’obtention de l’autorisation.


Elles ne sont cependant pas toujours fondées et peuvent paralyser des projets.


Rappels


Le délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme commence à courir à compter de la réception d’un dossier complet.


Le délai d’instruction est un délai dit « non franc ».


Par exemple, si le dossier de demande de permis de construire a été enregistré le 23 janvier et que le délai d’instruction est de deux mois, celui-ci commence à courir le 24 janvier et expire le 23 mars à minuit


Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées par le Code de l’urbanisme, l’autorité compétente, dans le délai d’un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur une lettre recommandée avec demande d’avis de réception indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes [3].


Ce courrier précise :


  • que les pièces manquantes doivent être adressées à la mairie dans le délai de trois mois à compter de sa réception,

  • qu’à défaut de production de l’ensemble des pièces manquantes dans ce délai, la demande fera l’objet d’une décision tacite de rejet en cas de demande de permis ou d’une décision tacite d’opposition en cas de déclaration,

  • que le délai d’instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie.


Si dans le délai d’un mois, une nouvelle demande apparaît nécessaire, elle se substitue à la première.


Une demande de pièces complémentaires notifiée au-delà du délai d’un mois à compter du dépôt de la demande de permis de construire n’a pas pour effet de prolonger le délai d’instruction de la demande de permis de construire.


Dans ce cas, le dossier est réputé complet à compter de sa réception en mairie et le pétitionnaire pourra se considérer, en l’absence de décision expresse, comme titulaire d’un permis tacite à l’expiration du délai d’instruction qui lui a été notifié -si son projet entre dans les cas dans lesquels le silence vaut autorisation tacite-. (CAA Marseille, 9e ch., 6 juin 2017, n° 15MA03781 CAA Marseille, 9e ch., 12 déc. 2013, n° 11MA02145).


Que faire si les pièces réclamées ne sont pas visées par le Code de l’urbanisme ou sont dénuées de pertinence ?


Les pièces à joindre à une demande de permis de construire sont limitativement énumérées aux articles R431-4 et suivants du Code de l’urbanisme.


Le caractère exhaustif de la liste de pièces exigibles emporte plusieurs conséquences :


  • le service instructeur n’est pas autorisé à réclamer la production de documents ne figurant pas sur cette liste,

  • un refus de permis de construire ne saurait être fondé sur l’absence d’une pièce qui ne figure pas parmi les pièces devant être jointes au dossier de demande.


Cela signifie également le service instructeur ne peut exiger la production de pièces qui sont dénuées de pertinence au vu du projet présenté.


Voir :« 3. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article R. 431-36 du code de l’urbanisme : « Le dossier joint à la déclaration comprend : / [...] c) Une représentation de l’aspect extérieur de la construction faisant apparaître les modifications projetées et si le projet a pour effet de modifier celui-ci » ; que ces dispositions ne s’appliquent que lorsque le projet du déclarant a pour effet de modifier l’aspect extérieur d’une construction existante ; que, par suite, la commune n’est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que la pièce mentionnée au c) de l’article R. 431-36 n’avait pas à figurer dans le dossier de déclaration préalable de Mme A. » (Conseil d’État - 6e et 1re sous-sections réunies - 8 avril 2015 - n° 365804)


En pratique, une demande de production de pièce manquante ne portant pas sur l’une des pièces énumérées n’a pas pour effet de modifier les délais d’instruction (art. R. 423-41 du Code de l’urbanisme).


La portée pratique de cette disposition est intéressante puisque le Conseil d’Etat a jugé que lorsque la demande de pièce complémentaire est infondée, le pétitionnaire est titulaire d’une autorisation tacite à l’expiration du délai d’instruction non prorogé (Conseil d’État - 2ème et 7ème chambres réunies - 24 février 2022 - n° 454047).


Le Conseil d’Etat a réitéré cette jurisprudence récemment dans la décision commentée.


Par ailleurs, en matière de permis de construire, comme en matière de déclaration préalable, une demande de pièces complémentaires constitue une décision faisant grief qui peut être attaquée.


Que faire si les pièces figurent déjà au dossier ?


Ce cas de figure suit le même traitement juridique que le précédent.


En effet, l’article R. 423-38 du Code de l’urbanisme précise expressément que l’autorité compétente n’a la possibilité d’émettre des demandes de pièces complémentaires que si le dossier initial ne comprend pas les pièces exigées.


Le Tribunal Administratif de Versailles a récemment jugé que :


« Le délai d’instruction n’est pas davantage interrompu, ou modifié par une demande, tout aussi illégale, portant sur l’une des pièces figurant au livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme, lorsque la pièce demandée était déjà au nombre despièces du dossier de demande, au seul motif de son incohérence avec les autres pièces de ce dossier. Dans de tels cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans que la demande du service instructeur puisse y faire obstacle ».


Les conséquences des demandes portant sur des pièces figurant déjà au dossier sont donc identiques :


  • le délai d’instruction n’a pas été prorogé,

  • le pétitionnaire est titulaire d’une autorisation tacite à l’expiration du délai d’instruction.


Néanmoins, en cas de contentieux, l’établissement de la preuve sera plus délicat.


En effet, il conviendra de pouvoir démontrer que la pièce réclamée a bien été fournie dès l’origine.


Quid de l’absence de réponse à une demande de pièces complémentaires infondée ?


Le Conseil d’Etat rappelle, dans un arrêt en date du 30 avril 2024, la méthodologie à suivre face à des demandes de pièces complémentaires illégales :


  • lorsqu'un dossier de demande de permis de construire est incomplet, l'administration doit inviter le demandeur, dans un délai d'un mois à compter de son dépôt, à compléter sa demande dans un délai de trois mois en lui indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes.


  • Si le demandeur produit, dans ce délai de trois mois à compter de la réception du courrier l'invitant à compléter sa demande, l'ensemble des pièces manquantes répondant aux exigences du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme, le délai d'instruction commence à courir à la date à laquelle l'administration les reçoit et, si aucune décision n'est notifiée à l'issue du délai d'instruction, un permis de construire est tacitement accordé.


  • A l'inverse, si le demandeur ne fait pas parvenir l'ensemble des pièces manquantes répondant aux exigences du livre IV dans le délai de trois mois, une décision tacite de rejet naît à l'expiration de ce délai.


  • Lorsque l'administration estime, au vu des nouvelles pièces ainsi reçues dans ce délai de trois mois, que le dossier reste incomplet, elle peut inviter à nouveau le pétitionnaire à le compléter, cette demande étant toutefois sans incidence sur le cours du délai et la naissance d'une décision tacite de rejet si le pétitionnaire n'a pas régularisé son dossier au terme de ce délai.


  • Le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle.


Cette décision clarifie le régime juridique des demandes de pièces complémentaires et permet aux pétitionnaires de sécuriser leurs projets face à des demandes de pièces complémentaires parfois infondées.




bottom of page